J’ai écrit une nouvelle version de ce texte, plus complète et mieux documentée, dans un nouveau post datant de janvier 2017 : “Louis-François-Xavier Declercq”. Quant à ma conclusion sous la forme humoristique d’un Declercq qui aurait eu un petit quelque chose d’un Robin des Bois, je ne l’ai pas conservée. C’était ridicule. Declercq appartenait à un monde prédateur tout autant que ceux qu’il escroquait, et cela ne faisait aucunement de lui un défenseur des pauvres et des opprimés, ce qu’il n’a d’ailleurs jamais été.
C’est un drôle de titre que celui-là, un peu réducteur, car il escamote quelques autres personnages un peu moins intéressants que Declercq, qui se glissent normalement entre le prince de Soubise seigneur de Préaux et de moult autres terres, décédé en 1787, et le vicomte de Boisgelin qui apparaît à Préaux au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. L’ancienne baronnie de Préaux resta un peu moins d’un siècle entre les mains des Soubise, la Révolution venant mettre un terme à près de mille ans de régime féodal.
Les héritiers de Charles de Rohan prince de Soubise retrouvent la possession de la forêt de Préaux sous le Premier Empire, soit une surface de 400 à 500 hectares à Préaux même, mais en réalité beaucoup plus que cela, car la forêt s’étendait bien au-delà des limites de notre commune, jusqu’à Darnétal et Montmain.
En travaillant sur l’histoire de notre village nous nous étions toujours demandé dans quelles conditions l’ancienne maison noble des Boisgelin s’était installée à Préaux au XIXe siècle. Il se disait que c’était pour services rendus. Cette réponse vague amenait trop de questions. Il nous fallait rechercher les réponses.
A la source de nos recherches : le cadastre napoléonien de Préaux indiquait vers 1830 les noms de nouveaux propriétaires de la forêt, Declercq et Lefebvre, de parfaits inconnus. Nous n’avions que cela.
Les héritiers du Prince de Soubise convoitent les terrains communaux de Préaux
Les terrains communaux de Préaux suscitèrent beaucoup de convoitises au XIXe siècle. Les héritiers de Charles de Rohan essayèrent à plusieurs reprises d’en reprendre possession. Tout d’abord en 1813. Leur représentant tente de manipuler l’Administration forestière, insinuant que ces terrains appartenaient anciennement à la forêt de Préaux et qu’à ce titre ils font partie de la forêt encore aujourd’hui et doivent, tout comme elle, retourner à leurs propriétaires légitimes, les Rohan. L’affaire fut chaude pour les villageois, mais échoua. Rebelote en novembre 1817. Fort du retour de la Monarchie en France, le chargé d’affaires des héritiers engage une procédure et réclame cette fois non seulement les terrains communaux, mais 28 années de redevances non payées. Il faut en convenir, chargé d’affaires et avocats montrèrent ici assez peu d’égard pour la population des deux communes. Manipulation et désinformation furent leurs armes favorites. Après plusieurs jugements successifs et quelques retournements de situation, les héritiers finirent en 1819 par être déboutés.
Celui qui mena ces attaques ne fut autre qu’un certain Declercq, chargé d’affaires des héritiers Rohan. Vers 1817, ces derniers sont Louis-Henry-Joseph, duc de Bourbon Condé, Louise-Adélaïde de Bourbon Condé, Marie Louise-Joséphine de Rohan, princesse de Rochefort, et Berthe-Antoinette-Aglaé de Rohan. Tous sont les héritiers des deux filles de Charles de Rohan, Charlotte de Rohan princesse de Condé (1737 – 1760) d’une part et Madame de Guémené (1743 – 1807) d’autre part, car déjà une génération a passé.
Louis-François-Xavier Declercq
Ce que ne savaient pas, à l’époque, les membres des conseils municipaux de La Vieux Rue et de Préaux, c’est que l’homme qui mena toutes les charges contre les deux communes, ce Declercq, serait bientôt le copropriétaire de la forêt de Préaux, à la place des héritiers Rohan. Il nous manque encore des informations, mais ce que nous avons trouvé nous permet néanmoins de retracer assez fidèlement cette période de notre histoire locale où les terres de Préaux furent l’enjeu de combines extrêmement lucratives. Nous étions en réalité très éloignés de ces “services rendus” qui cachaient au contraire bien des malversations.
Madame de Guémené
Je ne sais pas trop qui fut Madame de Guémené, on a dit d’elle qu’elle était entêtée et avait peu de caractère. En tout cas elle et son mari, le prince de Rohan-Guémené, réalisèrent la plus belle faillite de la fin de l’Ancien Régime. Menant un trop grand train de vie, ils laissèrent une ardoise de 33 millions… De sa famille, Madame de Guémené fut la seule à ne pas fuir à l’étranger pendant la Révolution, afin de protéger leur patrimoine. Ce qui n’empêcha pas le gouvernement de mettre une partie des biens sous séquestre.
Un duo de choc : Declercq et Piat-François-Joseph Lefèbvre
Madame de Guémené mis toute sa confiance en ce Louis-François-Xavier Declercq. Belge, originaire de Tournai, petit fonctionnaire sans fortune, ce dernier grimpe vite les échelons de la société. En 1803, associé à un Lefèbvre-Boucher qui sera toujours de tous les bons coups, il fait déjà l’acquisition du château d’Orcq, acheté au comte de Woestenraedt, chanoine de Tournai, qui avait émigré. Si Declercq fut rusé et ingénieux, les héritiers Rohan montrèrent au contraire dans cette histoire beaucoup de naïveté. Declercq, c’est le loup dans la bergerie. Avec les héritiers Rohan, il trouve les meilleurs citrons à presser, les plus beaux et les plus juteux.
L’associé de Declercq, Lefèbvre-Boucher, n’est autre que Piat-François-Joseph Lefèbvre (1752-1837), négociant, originaire de Tournai lui aussi. Celui-ci a épousé Marie-Robertine-Joseph Boucher et dispose d’assez de fortune pour financer les opportunités que Declercq met en œuvre. Le duo fonctionnera parfaitement pendant une trentaine d’années.
Les combines du chargé d’affaires
Petit-Jean, dans un article du Monde illustré, en 1858, expliquera plus tard les combines de Declercq : « C’était un homme habile que ce Declercq : dès 1797, n’étant encore que simple surnuméraire de l’enregistrement, il avait pénétré du même coup dans la confiance et les affaires de Mme de Guémené. Chargé par elle d’administrer ses biens et de les disputer aux créanciers qui surgissaient de toutes parts, voici comment il s’y prit. Il commença par diminuer, au moyen de baux fictifs, la valeur apparente des immeubles : cette dépréciation amena celle des créances qui se vendirent à vil prix. Faire racheter d’abord ces créances par des hommes à lui, faire poursuivre par les porteurs de titres l’expropriation des immeubles, s’en rendre lui-même adjudicataire et se libérer de son prix en payant au prix de leur valeur nominale ces mêmes créances dont plusieurs avaient été acquises par lui à 14 pour cent de leur valeur réelle, tel fut le mécanisme général du système d’opération, suivi par Declercq. Elles ne pouvaient, comme on voit, s’accomplir qu’à l’aide d’un nombre considérable de prête-noms. Tous ces gens-là eurent, bien entendu, leur part du gâteau. Ce qu’il y a d’individus qui, depuis cinquante ans, ont vécu grassement de la succession Soubise est inimaginable. Quant à Declercq il eut – et c’était justice – la part du lion. »
C’est que petit à petit la tâche de Declercq prend de l’envergure. Il participe à la liquidation de la succession de Charles de Rohan qui concerne un patrimoine immense, composé en partie de créances, mais surtout de biens immobiliers répartis dans toute la France et en Belgique. A cela s’ajouteront d’autres successions, celles de la comtesse de Marsan, sœur de Charles de Rohan, celle du duc de Bouillon aussi. Et puis bien sûr il s’agira aussi de liquider la faillite Guémené, la pièce maîtresse des procédés de notre personnage qui bientôt, les affaires marchant pour le mieux, s’enorgueillit de la profession de banquier.
Comme un poisson dans l’eau…
Petit-Jean continue : « En 1808, Mme de Guéméné décède, laissant pour héritière la princesse de Rohan-Rochefort, sa fille, et la princesse Berthe, duchesse de Montbazon, sa petite-fille. La princesse Berthe rachète la part de sa tante et réunit ainsi sur sa tête tous les droits de la branche dans les trois successions de Guéméné, de Marsan et de Soubise. Puis ces droits eux-mêmes, elle les cède dans leur intégralité à un sieur Declercq, moyennant une somme de 2,115,000 francs. … Declercq, comme je l’ai dit, s’était mis en règle vis-à-vis de la branche des Rohan, en rachetant à la princesse Berthe la totalité de ses droits. Ce traité, ébauché avec la princesse en 1814 et ratifié par les héritiers le 12 janvier 1830, fut tenu secret. Il y avait pour cela deux raisons : la première, c’était d’éviter des droits d’enregistrement considérables ; la seconde, d’empêcher l’exercice du retrait successoral. Un mot barbare qu’il faut que j’explique à mes lecteurs :
Le retrait successoral est le droit donné à un cohéritier d’écarter du partage d’une succession l’étranger qui aurait acheté la part d’un autre cohéritier, à la charge de rembourser le prix que cet acquéreur a légitimement payé. Or, il ne faut pas perdre de vue que la branche des Rohan avait pour cohéritier, dans la succession Soubise et de Marsan, la branche de Bourbon – Condé, que représente aujourd’hui le duc d’Aumale, légataire universel du dernier duc de Bourbon. Longtemps ce deux princes, tout en soupçonnant l’existence d’un acte de cession, se trouvèrent dans l’impuissance de le prouver judiciairement. Declercq et sa veuve niaient tout traité de cette nature, et les princes de Rohan se traînaient à leur remorque. »
Une fortune dépassant les 20 millions de francs
On citera quelques bonnes affaires. En 1812, nos deux compères font l’acquisition du moulin à eau de Saint-Vaast, à Frévent, ancienne propriété de Charles de Rohan. Il y eut aussi les terres et le château de Saint-Pol sur Ternoise, saisis, le domaine et le château de Vigny, près de Pontoise, que Declercq achète en 1822 et revend aux Rohan en 1829. Il y a le domaine de Guémené-sur-Scorff, dans le Morbihan, qui passera lui aussi entre ses mains.
Bien sûr, il arriva parfois que certains héritiers fissent de la résistance, tel le duc de Bourbon, mandataire de la liquidation du prince de Soubise. En 1820 Lefèbvre-Boucher et autres créanciers aux ordres de Declercq font alors saisir les domaines de Vigny et de Longuesse. L’affaire se poursuit devant un tribunal qui déboute les créanciers, ce qui n’empêchera pas Vigny de tomber entre les mains de Declercq quelques temps plus tard. Il est certain que Declercq et Lefèbvre se jouent de leurs opposants, n’hésitant pas à les intimider si nécessaire. On ne les inquiète d’ailleurs qu’assez peu. Ils achètent, revendent. Rares sont les biens qui resteront entre leurs mains. La fortune de chacun des deux hommes croit rapidement. Ils se réservent tout de même quelques-uns des biens qui appartinrent au prince de Soubise, comme Préaux, Beaumont-le-Roger, Carvin, somme toute un remarquable capital foncier, cumulant les hectares de terres et de forêt par milliers. A cela Declercq ajoutait deux hôtels particuliers à Paris dont celui de Masseran, le château d’Orcq en Belgique, ainsi que les terres de Oignies dont je ne connais pas l’origine, qui furent certainement, comme le reste, de bonnes affaires. A son décès en 1838, Declercq était, à lui seul, à la tête d’une fortune dépassant les 20 millions de francs.
Les forêts de Préaux et de Beaumont-le-Roger
Celles-ci appartenaient toutes deux dans les années 1825-1830 aux sieurs Declercq et Lefèbvre-Boucher. Quand en devinrent-ils les acquéreurs ? Je ne puis le dire. La forêt de Préaux représentait environ 2000 ha, répartis sur une dizaine de communes. Dans notre village les deux hommes d’affaires avaient également mis la main sur une imposante bâtisse appelée aujourd’hui « maison du bailliage » qui servait autrefois à la haute justice des barons de Préaux. Comparés à notre bourgeoisie locale de l’époque, aux 69 hectares du sieur Turgis à la fin du XVIIIe siècle, aux 38 hectares du domaine de Bellevue qui permirent à Narcisse Hazard d’occuper le poste de maire de notre commune sous le Second Empire, les 2000 hectares de Declercq et Lefèbvre-Boucher représentaient l’image d’une toute autre société, digne de la noblesse d’autrefois.
Les épousailles du sieur Declercq
Declercq épouse le 28 avril 1834 Henriette-Aline-Françoise-Ghislaine Crombez, née à Tournai le 5 juillet 1812. Il a une soixantaine d’années, elle en a 21. Elle est la petite-fille de Piat-François-Joseph Lefèbvre, l’associé de toujours. Un beau coup de plus à mettre à l’actif de Declercq qui gardera ainsi un peu plus la main sur les forêts de Préaux et de Beaumont-le-Roger. A se demander si cet homme n’avait pas un tiroir caisse à la place du cerveau… Enfin, bref, tout lui réussissait.
Tournai, point zéro
Nous l’avons vu, nos deux personnages principaux étaient originaires de Tournai, en Belgique. La-bas, dans la région, Declercq et Lefèbvre avaient pris sous leur aile un certain Lehon, fils d’un notaire du bourg d’Anthoing. Ils avaient fait le projet de l’installer à Paris. Certainement à bon escient. Un notaire, ce peut être très avantageux d’en avoir un sous la main, surtout pour notre duo qui construit sa fortune sur l’immobilier. Des 400.000 francs que coûtent la charge de notaire et l’achat de la clientèle de Me Cazes en 1825, Declercq et Lefèbvre-Boucher avancent 250.000 francs, Declercq se portant caution pour le reste.
Les affaires de Lehon marchèrent bien pendant un temps, mais ne survivront pas au décès de Lefebvre en 1837 puis à celui de Declercq l’année suivante. En 1842, notre notaire « dont la déconfiture occupe Paris et toute la France » est déclaré en faillite. Il laisse un passif de 7 millions. Un notaire en faillite, même au XIXe siècle cela ne se voyait guère. La France rigolait. Incompétent, Lehon ne pouvait guère servir que les intérêts des deux compères. Sans eux, il ne fut sans doute plus rien. La veuve Declercq s’empressa de réclamer les 250.000 francs, mais sera déboutée à l’issue de plusieurs procès.
A un certain moment apparaît un autre associé, un banquier nommé Lefèbvre-Meuret, de Tournai lui aussi. Celui-ci s’est associé avec Declercq dans les années 1830 dans la liquidation de la succession Bouillon. Il ne faut pas chercher bien loin. Un fils de Piat-François-Joseph Lefèbvre épousa une Louise Meuret. C’est aussi simple que cela. Les affaires restaient ainsi dans la famille. Tout le monde en profita.
Conflit avec le duc d’Aumale
Une fois les sieurs Declercq et Lefèbvre disparus, les affaires tournent assez mal pour la veuve Declercq. Les accusations pour fraude et dol tombent de toute part. La veuve doit aussi se défendre contre sa propre famille. On trouve trace de procès entre la veuve Declercq et les héritiers Lefèbvre-Boucher en 1841, 1842, 1844… Puis c’est au tour du duc d’Aumale en 1845, également des princes de Castille. « Un jugement de 1849 déclara que le sieur Declercq, mandataire de la famille de Rohan, n’avait pas obéi aux lois de la délicatesse ». Attaques de créanciers, d’héritiers de créanciers, histoires de prête-noms, feront le quotidien des années qui suivront, jusque dans les années 1870, des faits souvent marqués de prescription. Mais le grand moment fut cette procédure qu’engagea le duc d’Aumale contre la Veuve Declercq.
En 1858, un article de l’Illustration indique que le duc d’Aumale a gagné son procès, La veuve ayant finalement admis l’entente entre son mari et la princesse Berthe, duchesse de Montbazon. Albert de Lasalle écrit lui-même, « Vous croyez sans doute que la liquidation, ainsi déblayée de cette grave question, va marcher d’un bon pas et toucher vite à son terme : détrompez- vous. « C’est beaucoup espérer, a dit Me Léon Duval, d’en rêver la fin dans moins d’un siècle. » Et Me Duval est en situation de savoir à quoi s’en tenir. »
En fait, l’affaire se terminera par une transaction qui restera secrète. Les deux parties négocièrent donc, le duc d’Aumale recevant un énorme dédommagement qui ne plongea certainement pas la veuve Declercq dans la misère. On ne remit pas en question les ventes de biens qui depuis des dizaines d’années s’étaient déroulées dans la plus totale irrégularité. Il n’y eut pas vraiment de perdant. Le duc d’Aumale n’alla pas plus loin et l’affaire en resta là. Declercq et Lefèbvre étant décédés, cela n’avait pas de sens non plus. L’illustration indiquera finalement « Et voilà comment l’affaire de la succession Soubise n’obtient dans le monde qu’un succès d’estime. »
Henriette Declercq à Oignies
La veuve Declercq ne finira donc pas sur la paille, loin de là. En dépit des procès, Henriette était déjà en train de se refaire pendant ce temps une nouvelle santé financière, à Oignies. Car c’est dans le parc même de son château qu’on découvrit du charbon en 1842. Henriette sera à l’origine de la Compagnie des Mine de Dourges fondée en 1856, après avoir obtenu en 1852 la première concession minière du bassin du Pas-de-Calais.
Les Boisgelin à Beaumont-le-Roger
Le couple Declercq eut deux enfants, Berthe-Aline-Françoise-Marie née en 1835, et Louis-Constanstantin-Henri-François-Xavier né en 1837. En 1855, la Veuve Declercq marie sa fille à Alexandre-Marie de Boisgelin, en pleine période de procès, sans que cela ne semble déranger qui que ce soit. C’est que la famille Declercq possède une grande qualité, qui fait oublier tout le reste aux Boisgelin. Elle est extrêmement riche. Il y a aussi la forêt de Beaumont-le-Roger qui compte beaucoup pour une famille noble attachée à l’apparence et aux traditions. En outre les projets miniers à Oignies se montraient déjà très prometteurs. Martial Delpit, député à l’assemblée nationale, écrira dans son journal en 1871 « J’ai dans mon bureau M. de Clercq, le fils de la richissime Mme de Clercq. »
En 1865, Édouard Vittecoq, évincé de sa fonction de maire de Beaumont-le-Roger par Alexandre-Marie de Boisgelin, règle ses comptes avec ce dernier qui a décidé d’écarter les habitants des anciens usages de la forêt. « Après M. Declercq, après madame Declercq, est survenu M. de Boisgelin, leur gendre, tenant en sa main sa riche dot, une belle dot, ma foi, ou plutôt celle de sa femme. Il a fait aussitôt retentir tous les échos de notre forêt des bruyants éclats de son cor de chasse. A cela je ne trouve rien à redire. Je ne lui dénie pas ses droits de propriétaire, je les proclame hautement sacrés, légitimes, inviolables ; mais qu’il reconnaisse aussi les nôtres ! ». En effet, avant le mariage avec la fille de Declercq, les Boisgelin ne possédaient qu’une maison à Beaumont-le-Roger. La fortune de Declercq leur permet désormais de jouer un rôle politique dans le département de l’Eure. L’époux de Berthe De Clercq – le nom s’écrit comme cela dorénavant, la mode étant aux châteaux, aux titres et aux particules au XIXe siècle –, Alexandre-Marie de Boisgelin, sera non seulement maire de Beaumont-le-Roger, mais conseiller général du canton.
Après la fortune : la politique, les bonnes œuvres, la reconnaissance
Installée sur son domaine de Oignies, une propriété de 1200 ha, Henriette De Clercq vit une belle existence et joue désormais à la bienfaitrice de ce lieu. Elle y mourra en 1878, honorée encore aujourd’hui. Son fils, Louis-Constantin-Henri-Xavier De Clercq, suivra un chemin parallèle à celui de son beau-frère. Lui, il sera maire d’Oignies, député du Pas-de-Calais, conseiller général du canton de Carvin, accessoirement photographe amateur et grand collectionneur d’antiquités du Moyen-Orient, une collection qui aujourd’hui se trouve au Louvre.
N’oublions pas les descendants en Belgique de Piat-François-Joseph Lefèbvre. On parlera plus tard de l’immense fortune de Benjamin Crombez (1832-1902), à l’origine de la station balnéaire de Nieuport-Bains qu’il voulait nommer Crombezville, mais aussi de son frère Louis (1818-1895), bourgmestre de Tournai en 1872. Tous les deux étaient les frères d’Henriette, la Veuve De Clercq.
Retour à Préaux
Voilà donc comment arrivèrent les vicomtes de Boisgelin à Préaux. Ils y resteront un peu plus d’un siècle. Tout cela grâce à ce Declercq qui changea le cours de notre histoire locale pour lui donner un peu plus de piment et d’intérêt. Declercq et Lefèbvre n’avaient aucun scrupule, mais faut-il pour autant plaindre les héritiers Rohan de s’être fait déposséder aussi sottement ? Certainement pas. Le monde fonctionne ainsi, comme une grande pièce de théâtre. D’habitude ce sont les gros qui plument les petits. Declercq fut en quelque sorte un Robin des Bois à la mode belge. Il garda tout pour lui.
Reste encore à savoir s’il faut écrire Declercq, De Clercq ou de Clercq. Je vous renvoie donc à l’article d’echo62.com qui vous donnera les explications : « Les descendants de Madame De Clercq ont découvert Oignies avec Onyacum, association d’histoire locale. »
Bibliographie et sources
Achile Morin, Adolphe Chauveau, Journal des avoués, volume 67 , de Cosse et Dumaine, Paris 1844 Adolphe Chauveau, Journal des avoués, volume 73, Cosse et Delamotte, Paris 1848
Petit-Jean dans Le Monde illustré, Août 1858
Ambroise Bosviel : Consultation pour 1° Plusieurs créanciers des successions de Rohan-Guéménée 2° M. Navoit agissant comme cessionnaire d’autres créanciers contre madame Veuve Declercq et ses enfants, 1867
Archives Départementales Seine-Maritime
Archives municipales Préaux 76
BORA Archives privées – Fond Rohan-Bouillon aux Archives nationales à Paris, dépôt du comte Henri de Boisgelin dans les années 60-70.
Édouard Vittecoq, ancien maire de Beaumont-le-Roger, Les droits de la ville et des habitants de Beaumont-le-Roger sur la forêt, Guignard, Évreux 1866
Hoverlant de Bauwelaere, Essai chronologique pour servir à l’histoire de Tournay, Tournai 1832
H. Saint Denis, Notice historique de Beaumont-le-Roger, 1888
Jean Baptiste Sirey, Jurisprudence de la cour de cassation de 1791 à 1813, Laporte 1822
Journal des avoués, volume 93, Marchal et Cie, Paris 1868
Journal du Palais, Volume 2, Paris 1847
Journal du Palais, Volume 17, Paris 1857
Jules Dufaure, Lorget (avoué), Mme veuve De Clercq contre M. le duc d’Aumale. Succession du maréchal de Soubise. Réplique de Me Dufaure, défendeur de Mme De Clercq, 1858
Le Cabinet de lecture et le cercle réunis : gazette des familles , volume 12, 1841
L’illustration , volume 32, Paris 1858
Louis Chauvelot (avoué), Affaires des héritiers Navoit … contre Mme Declercq et autres … Jugement dont est appel, 1870
Meline, Cans, Pasicrisie ou Recueil général de la jurisprudence des cours de France et de Belgique , 1851
Pol Defosse (dir.), Jean-Michel Dufays, Martine Goldberg Dictionnaire historique de la laïcité en Belgique, éditions Luc Pire, Bruxelles 2005
Roger Huetz de Lemps, Aumale L’Algérien, Nouvelles éditions latines, 1961
Société historique et archéologique de Corbeil, d’Étampes et de Hurepoix, Service de documentation et de cartographie géographiques, Mémoires et Documents, volume 10, Picard 1964
Wikipedia
A voir également les liens ci-dessous :
http://www.vigny.fr/content/content1456.html
http://www.infobretagne.com/guemene-sur-scorff.htm
http://asso.nordnet.fr/aramnord/que_savoir/moulin_frevent.htm
http://www.labeilledelaternoise.fr/actualite/viewArticle.php?idArticle=1039
Bonjour,
Je viens de lire avec beaucoup d’intérêts ce que vous écrivez sur les Rohan-Soubise et les Declercq (Mr puis Mme). Ma famille est propriétaire du château de Belvoir (Franche-Comté) dont la dernière baronne fut la comtesse de Marsan.
Je recherche toute information sur le XIX° siècle sachant que les héritiers ont abandonnés leurs propriétés de Belvoir à l’archevêché de Besançon en 1848. Les Declercq sont intervenus à partir de 1821 au travers d’une demande de l’archevêché pour implanter un petit séminaire au château. Ce qui fut fait mais sans aucun accord écrit du fait des difficultés rencontrées dans la succession (vos recherches aident à comprendre pourquoi, vu la transaction Declercq-Guéméné!).
Donc merci de penser à nous si vous avez qq chose sous la main qui concerne les terres comtoises. Et que dire des terres belges héritées des Withem, Cusance, Lorraine et autres…
Cordialement,
Christian Jouffroy